En Irlande du Nord, la guerre civile a laissé des plaies difficiles à cicatriser. A Belfast, l’une des villes symbole du déchirement du pays, deux Irlandais ont entamé un travail de reconstruction du dialogue intercommunautaire, dans leur petite salle d’Arts Martiaux. En se préparant au combat, Mark Uprichard et Eoin Wilson contribuent chaque jour à faire tomber un peu plus le mur qui les sépare. Rencontre avec deux personnages atypiques du monde du Mixed Martial Art irlandais.
Par notre envoyé spécial à Belfast (Irlande), Yann Levy
Mark et Eoin sont antinomiques sur bien des points. Leur amitié est pourtant solide et sincère. Leur pays est fraîchement sorti de la guerre civile, même si des troubles éclatent encore plusieurs fois par an. Belfast affiche ses cicatrices à travers les fameux murals et surtout la Peace Line, l’un des quatre derniers murs encore debout au monde. Ces éléments sont les symboles les plus visibles des profondes déchirures que l’Irlande du Nord connaît depuis le milieu des années 60.
Officiellement, le conflit est terminé depuis 1998 avec l’accord du « Vendredi Saint », mais les blessures restent profondes et la méfiance règne entre les deux communautés. C’est aussi en 1998 que Mark et Eoin se sont rencontrés dans un club de Taï jutsu. Peut-être un signe ?
Mark, 35 ans, protestant, travaille pour le gouvernement. Diplômé de l’Université de Belfast, il aime les sports de combat, la musique country et la chasse. Dès qu’il le peut, il quitte la ville pour s’isoler avec son énorme 4×4 armé d’un fusil à pompe pour chasser le canard.
Eoin, 31 ans, catholique, vient du Sud de Belfast. Comme Mark, il n’aime pas parler du passé. Surtout s’ils sont ensembles. Nos deux acolytes préfèrent se concentrer sur le présent et le futur. Eoin a appris à se battre pour se défendre. Adolescent, il était punk, à savoir « une véritable cible » ambulante dans le Belfast des années 90.
« Des gars avec des iroquoises ceinture noire… »
Comme d’autres jeunes de cette époque, il verse dans les contre-cultures, en s’inventant une vie au-delà des murs et s’est mis aux arts martiaux pour ne plus avoir à subir ces choix. « Il n’était pas rare de croiser des gars avec des iroquoises ceinture noire… ». Aujourd’hui pompier professionnel, il partage son temps entre la caserne, son jeune bébé et le club.
De nos jours, Belfast n’a plus grand-chose de commun avec l’ambiance des années 90. Il n’y a plus de quartiers fermés par des road blocks, de bruit omniprésent d’hélicoptère de surveillance, de check points fermés la nuit, de commissariats militarisés ou de sas devant des pubs grillagés…
Même si un quartier peut s’embraser très rapidement, aujourd’hui, des touristes dépensent sans crainte dans les commerces franchisés du nouveau centre-ville. Que l’on ne s’y trompe pourtant pas. Belfast est toujours une ville divisée en profondeur, scindée par un mur de séparation, une saignée de métal et de barbelés. Le fossé entre les communautés catholiques et protestantes se nourrit des modes de vie structurés durant des décennies par la guerre civile. Le monde sportif s’est construit sur les mêmes schémas séparatistes.
Les clubs de judo étaient soit affiliés à la fédération anglaise, soit à la fédération irlandaise selon le quartier. La boxe et le football, c’était pire. En réalité, seul le centre-ville représentait déjà dans leur jeunesse une zone mixte et c’est justement dans un club de Taï Jutsu du centre-ville que Mark et Eoin se sont rencontrés. Ce club, dont ils sont toujours licenciés, a été fondé par Jack Mckeown, un maître venu de Bolton, en Angleterre.
Ce maître enseignait une discipline nouvelle alliant les arts martiaux traditionnels et des techniques d’auto-défense, un style épuré et efficace. Il n’en fallut pas plus pour séduire les deux jeunes hommes. « En fait, on pratiquait un sport proche du MMA ou du Pancrace, sans le savoir », précise Eoin. Mckeown développa un esprit d’ouverture par des activités sociales (barbecues, sorties collectives…)…
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