Un article sur l’Express.fr

 
Les promoteurs des mixed martial arts (arts martiaux mixtes) font le forcing pour obtenir la légalisation en France de ces combats aux allures de jeux du cirque.
A la clef: un beau pactole en droits télévisés. 
Une affiche de rêve. Tout en haut, en lettres géantes, on annoncerait le combat vedette: Teddy Riner, champion du monde français de judo poids lourd, contre un colosse de son acabit. Ensuite, Cheick Kongo, l’un des meilleurs combattants français de boxe « pieds-poings », serait opposé à Mark Hunt, le redoutable frappeur sud-africain, pour le match de la revanche. Enfin, Lucie Décosse, la judoka française médaillée olympique, affronterait cette Japonaise qui avait eu le front de la défier publiquement…
Le tout serait retransmis en direct du Palais omnisports de Paris-Bercy, où des milliers de jeunes fans se tasseraient dans les gradins, par une chaîne de télévision privée. Ce grand spectacle – et les millions d’euros qu’il dégagerait – relève encore de la fiction, mais plus pour longtemps, espèrent les promoteurs des MMA (mixed martial arts).  
 
Ce sport de combat né au Brésil et exporté aux Etats-Unis dans les années 1980 est réputé si violent qu’il est interdit dans certains Etats américains, ainsi qu’en France. Les rencontres se déroulent dans des cages octogonales fermées par un grillage; les adversaires peuvent utiliser les pieds et les poings ou lutter corps à corps. Et ils ont le droit de se frapper au sol, un peu comme si un boxeur continuait à cogner son adversaire à terre. 
 

 Lorenzo Fertitta reçu par le conseiller de Douillet :
« Un combat de chiens ou de coqs », avait répliqué, l’année dernière, Chantal Jouanno, interrogée sur les MMA et leur possible « légalisation ». L’ex-ministre des Sports était restée sur la même ligne que ses prédécesseurs: pas question de tolérer cette discipline, et encore moins d’autoriser l’organisation de rencontres publiques.  
Le 31 janvier dernier, pourtant, l’un des deux frères Fertitta, promoteurs américains des MMA, était assis dans le bureau d’un conseiller de David Douillet pour y plaider sa cause. Ce milliardaire, qui possède, aux Etats-Unis, les droits de ce spectacle de combat diffusé sur des chaînes enpay per view, tenta de démontrer que le danger pour les professionnels du free fight était moindre que pour les boxeurs classiques. Et que la cage grillagée s’imposait comme une nécessité technique – les combattants pouvant tomber, d’après lui, d’un ring traditionnel. Un argumentaire que ne renierait pas le producteur français Cyril Viguier, parti tenter sa chance l’été dernier à Las Vegas, comme combattant, lors de rencontres de MMA amateurs.  
 
Le conseiller de Douillet, dit-on, écouta attentivement Lorenzo Fertitta, qui pèse plus de 1,5 milliard de dollars selon le magazine Forbes. Mais, une campagne électorale plus tard, les interlocuteurs risquent de ne plus être tout à fait les mêmes. « Si un nouveau ministre est nommé, il faudra que les promoteurs des MMA réussissent à s’en faire entendre », remarque un proche de l’actuel patron du sport français. 
En attendant, le Groupe Lagardère a, lui aussi, commencé discrètement à occuper le terrain. Son dojo parisien propose désormais des cours de free fight, sous la direction de Bertrand Amoussou, un ancien judoka de haut niveau qui est allé défier les combattants de MMA aux Etats-Unis, parfois victorieusement. Avoir usé son kimono sur les mêmes tatamis que David Douillet lui a sans doute permis d’être écouté avec intérêt par les conseillers du ministre, lors des récentes rencontres organisées. Désormais président d’une Commission nationale de MMA, qui préfigure une éventuelle fédération, Bertrand Amoussou devrait rapidement déposer une demande d’agrément pour son sport auprès des autorités: « On verra ce qu’on nous répondra. » 
 
 
Dans les couloirs du ministère, on fait toutefois remarquer que « le véritable problème vient des jeunes qui veulent pratiquer les MMA et qu’il faut bien encadrer ». Car ces adeptes souhaitent se faire entendre. Le 31 mars dernier, une manifestation prolégalisation était prévue, avant d’être interdite par le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant. Plusieurs milliers de personnes s’exerceraient dans l’ombre à ce type de lutte, discrètement proposée au sein d’une bonne centaine de clubs, sous l’appellation de « grappling », de « sambo » – la lutte russe – ou de « pancrace » – le combat olympique antique. Mathieu Nicourt, l’un des rares Français à avoir combattu chez les « pros », n’a pas cherché, lui, à jouer sur les mots. Lorsqu’il a monté sa salle, entre deux immeubles d’une cité de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), il l’a baptisée Free Fight Academy.  
 
Il est presque 19 heures, ce mardi, et les élèves affluent. Après avoir enfilé leur short et leurs gants de boxe aux doigts coupés – les mitaines -, ils gagnent le tatami, prêts à exécuter et à répéter les nombreux exercices que Mathieu Nicourt leur enseigne. Saisies des jambes, enchaînements de coups de poings, les respirations se font plus courtes, la sueur inonde les visages et les corps. Des Blacks, des Blancs, des Beurs luttent au sol, s’aident pour se relever, écoutent les consignes en silence et avec respect… Difficile de ne pas retrouver, ici, les valeurs habituellement associées à la pratique des arts martiaux. « On critique les MMA, mais le sport qui provoque le plus de violence reste le football », glisse le maître des lieux. 
 
La plupart des habitués de la salle de Vitry ne se destinent pas à faire carrière. Certains cherchent à « apprendre à se défendre », comme ce jeune Moldave costaud de 15 ans, qui vient pour la première fois d’enfiler les gants. Beaucoup, en revanche, connaissent le jeu vidéo qui permet de se mettre dans la peau des plus grands combattants de MMA du moment. Grâce à Internet, ils peuvent suivre les rencontres organisées aux Etats-Unis. Et de multiples sites Web les renseignent, au jour le jour, sur l’état de forme de leurs champions. « Avant, quand j’étais petit, je regardais le catch, mais c’est trop bidon », confie cet adolescent qui, désormais, guette les rares retransmissions télévisées de MMA sur une chaîne belge diffusée en Europe.
Signe de cet engouement, Dragon bleu, qui propose du matériel et des figurines représentant les free fighters les plus célèbres, a été élu PME de l’année après avoir vu son chiffre d’affaires grimper en flèche. 
 
Légaliser ou pas? La réponse se trouve en partie entre les mains des autres fédérations de sports de combat, auxquelles le ministère a demandé un avis. Côté judo, Jean-Luc Rougé a déjà fait savoir le peu d’estime qu’il portait aux mixed martial arts: « Un sport où des gens se tapent dessus dans une cage pour de l’argent… » Francis Didier, à la fédération de karaté, considère qu’il s’agit d’un « spectacle violent », mais qu’il revient aux pratiquants et à leur encadrement de faire leurs preuves. « Organiser une filière sportive est aussi une activité de service public ; cela crée du lien social. », dit-il. Un défi paradoxal pour une discipline qui ressemble encore beaucoup à une compétition de gladiateurs des temps modernes. 
 
Source : lexpress.fr

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